Steinitz : La Bataille d’Hastings (1895)

Les échecs ne sont pas pour les âmes timides. Ils requièrent un homme entier, qui ne s’arrête pas aveuglément à ce qui a été déjà établi, mais qui tente individuellement de sonder les profondeurs du jeu.

Wilhelm Steinitz

Wilhelm Steinitz, né en 1836, précédant de peu le champion américain Paul Morphy, a vu le jour au cœur du ghetto de Prague, une ville alors intégrée à l’Empire autrichien. Issu d’une famille modeste de quincailliers, son enfance fut marquée par la perte de sa mère, survenue à l’âge de neuf ans. Après avoir terminé ses études au lycée, Steinitz se rend à Vienne pour entreprendre des études d’ingénierie à l’École Polytechnique. Vienne, une ville renommée pour sa tradition échiquéenne à l’époque, joua un rôle crucial dans l’éveil précoce de son intérêt pour les échecs, hérité de son père. Sa passion pour le jeu d’échecs grandit rapidement, le conduisant à abandonner ses études pour se consacrer entièrement à cette discipline. En peu de temps, il devint le joueur le plus redoutable de Vienne, accumulant également une fortune considérable en jouant dans les cafés. La majeure partie de sa carrière se déroula aux États-Unis, il décéda le 12 août 1900, interné dans un asile psychiatrique près de New York. Sa vie fut marquée par une ascension fulgurante dans le monde des échecs, illustrant une dévotion inébranlable envers le jeu qui le conduisit finalement à un destin tragique.

Wilhelm Steinitz, souvent considéré comme le père de la stratégie moderne aux échecs, approfondit les thèses de Philidor relatives aux pions et à leur structure. Il va au-delà, considérant le jeu d’échecs comme une activité propice à une étude scientifique approfondie. Ses travaux et son style de jeu ont marqué une transition importante du style romantique, caractérisé par une attaque effrénée dépourvue de règles stratégiques solides. Au lieu de se contenter de chercher le mat, Steinitz a développé un système de jeu complet. Il a introduit une série de critères pour évaluer une position, définir les objectifs et élaborer un plan d’action. Cette approche révolutionnaire a élevé la stratégie échiquéenne à un niveau plus profond et plus réfléchi. Il a insufflé une nouvelle perspective, mettant en avant que l’attaque ne devait pas seulement découler d’une inspiration brillante, mais aussi être motivée par l’exploitation des faiblesses inhérentes à la position de l’adversaire. Steinitz a transformé la défense en un art souvent supérieur à l’attaque, forgeant ainsi les fondements d’une stratégie échiquéenne plus réfléchie. Son approche a marqué un tournant majeur dans l’histoire du jeu d’échecs, remplaçant le style romantique par une approche plus méthodique et scientifique. Son jeu défensif était souvent supérieur à celui de ses contemporains qui privilégiaient une attaque flamboyante en quête du mat. Steinitz a laissé un héritage durable en façonnant la manière dont le jeu d’échecs est abordé et compris à ce jour.

Wilhelm Steinitz, malgré son approche scientifique des échecs, était également capable de concevoir des combinaisons géniales, comme en témoigne sa partie mémorable contre Von Bardeleben en 1895. Cette rencontre a été si exceptionnelle qu’elle a remporté le prestigieux prix de beauté du tournoi de Hastings. Steinitz, le fondateur des échecs modernes, démontre sa maîtrise même à un âge avancé en déployant une combinaison remarquable. La séquence débute par un sacrifice de qualité, une manœuvre audacieuse que son adversaire ne pouvait raisonnablement accepter, entraînant ainsi le roi noir dans un voyage inéluctable vers sa mort certaine. Von Bardeleben, prenant conscience de l’impasse inéluctable, quitte la table de jeu sans prononcer un mot et ne revint pas. Steinitz, ne croyant pas à une telle attitude, a attendu un long moment. Finalement, devant le regard émerveillé des spectateurs, il montre le dénouement final de cette magnifique combinaison, remportant ainsi l’admiration générale. Applaudissements pour Steinitz et humiliation pour Von Bardeleben !

Cette partie emblématique illustre la brillance tactique de Steinitz, confirmant qu’en dépit de son approche plus positionnelle et stratégique, il demeurait un maître des combinaisons géniales éblouissantes. Cette dualité de style de jeu contribua à façonner son statut de figure clé dans l’évolution des échecs vers la modernité.