Une sentinelle perdue
Une tour (warder) médiévale, l’une des cinq pièces appartenant à la horde de Lewis disparues depuis près de deux siècles, sommeillait dans un tiroir d’Edimbourg. Les pièces furent probablement fabriquées — la plupart d’entre elles à partir d’ivoire de morse — entre le XIIe et le XIe siècles à Trondheim, en Norvège. La théorie principale de leur provenance est qu’elles appartenaient sans doute à un commerçant qui, lors d’un naufrage, enfouit sa précieuse cargaison pour la récupérer plus tard. Alors que 82 pièces du trésor étaient exposées au British Museum et 11 au musée national d’Écosse, un cavalier et quatre gardiens (warders) — nécessaires pour compléter ces jeux — ont disparu depuis le XIXe siècle. Ce gardien était l’une de ces pièces manquantes. Dans la Scandinavie médiévale, le chariot indien, placé à l’extrémité de l’échiquier devint tout naturellement une sentinelle surveillant les alentours et une tour de guet dans l’Europe plus méridionale.
En 1964, un marchand d’antiquités d’Édimbourg achète la pièce manquante au prix de 5 £. L’achat est enregistré dans son inventaire comme « ancienne pièce d’échecs guerrière en ivoire de morse ». Transmise à sa famille, elle resta dans un tiroir pendant 55 ans. La fille de l’antiquaire la sortait parfois pour l’admirer sans se douter de son caractère unique… et de son prix ! L’expert, Alexander Kader, qui examina la pièce pour la famille, a déclaré que leurs « mâchoires sont tombées » lorsqu’ils ont réalisé ce qu’ils avaient en leur possession. Le visage grincheux, prêt à vous transpercer de son épée, ce garde sera vendu aux enchères 735 000 £ (818 639 €) à la Sotheby’s Auction House de Londres, un nouveau record pour une pièce d’échecs médiévale. On s’en doute, le nouveau propriétaire est resté anonyme.