Distraction hippopotamesque

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« Je n’oublierai jamais, raconte Tal dans son livre The Life and Games of Mikhail Tal, ma partie contre le Grand Maître Vasiukov au championnat d’URSS. Nous avions atteint une position très compliquée et je songeais à sacrifier un Cavalier. Le sacrifice n’était pas évident, car il y avait un grand nombre de variations possibles. Mais quand j’ai commencé à m’y plonger, je découvris avec horreur que je n’aboutissais à rien. Les idées s’entassaient dans ma tête, passant d’une variante à l’autre, trouvant toujours une réfutation correcte pour mon adversaire. Dans mon esprit, se forma une masse chaotique de coups, parfois même sans aucun rapport les uns avec les autres, et l’infâme arbre d’analyse, où les entraîneurs vous conseillent d’élaguer les petites branches, commença à croître monstrueusement. Je ne sais pas pourquoi, mais à ce moment-là, je me suis souvenu de la célèbre comptine de Korney Ivanović Tchoukovski :

Ô, combien est difficile la besogne,
De sortir du marais l’hippopotame !

Je ne saurais expliquer par quelle association cet hippopotame émergea sur l’échiquier, mais la vérité est que, tandis que les spectateurs croyaient que j’analysais la position, je pensais comment, diable, je pourrais tirer ce foutu hippopotame de son marécage. Je me souviens, que dans ma tête, s’empilaient treuils, leviers, hélicoptères, et même une échelle de corde. Après de nombreuses tentatives, j’admis la défaite en tant qu’ingénieur. Je ne trouvais aucune méthode acceptable pour le sortir de sa fâcheuse position, et je pensais avec méchanceté : « Eh bien, qu’il se noie ! ». Et soudain, l’hippopotame se volatilisa. Il disparut de l’échiquier juste comme il était venu… de son propre chef ! Aussitôt, la position ne me parut pas si compliquée. Je réalisais maintenant qu’il n’était pas possible de calculer toutes les variantes et que le sacrifice du Cavalier était, par sa nature même, purement intuitif. Et comme il promettait un jeu intéressant, je ne pus m’empêcher de le faire.

Et le jour suivant, c’est avec plaisir que je lus dans le journal comment Mikhail Tal, après avoir soigneusement réfléchi à la position pendant 40 minutes, effectua un sacrifice d’une grande précision. »

Dans cette position, Tal finit tout de même par sacrifier son Cavalier par :

« À côté des périodes de concentration intense, écrit Christophe Otero, il s’agit de celles qui le sont moins et qui pour autant n’en sont pas moins créatives. Ces instants où l’esprit, occupé délibérément ou non à tout autre chose, divague et permet à une contribution inachevée de prendre forme dans la pensée. » Ces moments de divagation de l’esprit, aux échecs comme ailleurs, ne sont pas nécessairement des pertes de temps, mais peuvent parfois conduire à des idées créatives et innovantes. Alors que la concentration est considérée comme essentielle pour réussir dans ce jeu stratégique, la distraction peut parfois avoir des effets surprenants sur le jeu :

Une pause bénéfique

Une relâche dans la concentration peut permettre au cerveau de se reposer, de se régénérer. Cela peut aider à éviter l’épuisement mental et à maintenir une performance de jeu constante sur une longue période.

Une réduction du stress

La distraction peut également être utilisée comme une stratégie d’adaptation dans certaines situations. Par exemple, les personnes confrontées à des situations stressantes peuvent parfois utiliser des distractions pour réguler leurs émotions et atténuer leur anxiété, améliorant ainsi leur bien-être psychologique.

Un changement de perspective

Être distrait peut aider un joueur à sortir d’une certaine rigidité mentale et à voir la position sous un angle différent. La distraction peut stimuler la créativité en permettant à l’esprit de vagabonder et de faire des associations libres entre différentes idées, source d’une inspiration inattendue. Cela peut conduire à des plans novateurs qui n’auraient pas été envisagés autrement.

La distraction, loin d’être une simple interruption, peut être une pause déstressante, une respiration bienvenue dans l’agitation de la concentration. Ce changement de perspective, source d’inspiration créative, peut parfois nous conduire vers des pensées, des associations inattendues, des analogies provenant d’un sujet totalement différent, mais qui nous apporterons peut-être une solution brillante à un problème sur l’échiquier.

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