Marshall : La Pluie de Pièces d’Or (1912)
Frank James Marshall (1877–1944) fut l’une des grandes figures du jeu d’échecs américain au début du XXe siècle. Il grandit en partie au Canada, où il découvrit le jeu très jeune. Initié à l’âge de 9 ans par son père, Alfred Marshall, il progresse rapidement : à seulement 13 ans, il compte déjà parmi les meilleurs joueurs de Montréal. Trois ans plus tard, il s’impose au championnat du club d’échecs de la ville. Se pose alors pour lui un choix décisif, commun à de nombreux talents : embrasser une carrière professionnelle ou suivre une voie jugée plus conventionnelle. Fidèle à sa passion, Marshall opte sans hésitation pour les échecs et retourne à New York afin de se consacrer pleinement à son art.

En 1904, Frank Marshall s’impose lors du championnat des États-Unis, mais choisit de ne pas revendiquer le titre en l’absence du champion en titre, Harry Pillsbury. Après le décès de ce dernier en 1906, Marshall continue néanmoins de refuser toute reconnaissance officielle et attend de conquérir le titre sans contestation, ce qu’il fait finalement en 1909 à l’issue d’un tournoi.
Au-delà de ses résultats, Marshall se distingue par son intégrité et son sens du fair-play. La même année, il accepte d’affronter un jeune joueur cubain encore peu connu, José Raúl Capablanca. À la surprise générale, Marshall subit une lourde défaite, avec seulement une victoire. Loin d’en garder amertume ou rancœur, il prend conscience de l’exceptionnel talent de son adversaire et estime qu’un tel joueur mérite d’accéder aux plus hautes sphères du jeu. Convaincu du potentiel de Capablanca, Marshall s’emploie activement à soutenir sa carrière. Il intervient notamment pour que le Cubain soit admis au prestigieux tournoi de Saint-Sébastien en 1911, une compétition fermée réunissant l’élite mondiale et annoncée comme la plus relevée jamais organisée. Malgré les critiques suscitées par cette invitation, Capablanca s’impose brillamment et confirme les intuitions de son défenseur.
Enfin, en 1922, Frank Marshall marque durablement l’histoire des échecs en fondant le Marshall Chess Club, institution devenue emblématique du jeu à New York et bien au-delà.
Marshall était réputé pour son sens tactique hors norme, mais aussi pour sa capacité à tendre des pièges redoutables, retournant des positions compromises grâce à des idées audacieuses ou des coups totalement inattendus. Il aimait lui-même comparer son style de jeu à celui du boxeur Jack Dempsey : « Je pense jouer comme Dempsey. Dès que le gong du premier round retentit, il se jette sur son adversaire à coups répétés, sans lui laisser le temps de reprendre ses esprits. »
Cette philosophie s’illustre parfaitement dans sa célèbre partie contre Stefan Levitsky, disputée à Breslau en 1912. Aux commandes des pièces noires, Marshall y conclut la rencontre par un spectaculaire pseudo-sacrifice de la Dame, offrant à son adversaire la possibilité de la capturer de trois façons différentes. Le coup fit une telle impression que, selon la tradition, les spectateurs auraient jeté des pièces d’or sur l’échiquier après le dernier mouvement de Marshall.




















