Un éléphant, ça trompe !
Pièce d’échecs en forme d’éléphant en ivoire taillé, Perse ou Asie centrale, IXe – Xe siècle 6.2 cm x 4.8 cm.
L’éléphant, notre fou moderne, est agenouillé et porte un howdah, une sorte de palanquin, sur son dos. Le personnage en a disparu. Les pièces animalières de la première période islamique sont rares. Un autre exemple est exposé au Museo Nazionale Del Bargello de Florence.
Museo Nazionale Del Bargello, Florence
L’évolution de ses représentations, comme sa marche sur l’échiquier, est assez déroutante. À l’origine, la pièce représente l’éléphanterie, puissant corps de l’armée indienne. Dénommé al fil dans le jeu arabo-persan, l’éléphant se déplace de deux cases en diagonale, sautant par-dessus les pièces. Ainsi était-ce une des pièces les plus faibles de l’échiquier.
Pièce en ivoire VIe – VIIe siècle Islam occidental, 5,5 x 5 cm – Metropolitan Museum New-York
Cet éléphant des terres islamiques occidentales, datant du VII – VIIIe siècle, ne s’est pas encore tout à fait détaché de ses origines indiennes. La plupart des pièces le représentent genou fléchi, prêt à accueillir son cavalier.
Les pièces d’échecs zoomorphes de la première période islamique sont extrêmement rares. La loi coranique interdisant la représentation d’être vivant, l’al fil arabe avait plutôt cette forme stylisée, les deux pointes sommitales symbolisant les défenses de l’animal :
Al fil en ivoire peint découvert en Iran, Nishapur, 9 – 12e siècle 2,3 cm
En arrivant en Europe, elle quitte le règne animal pour prendre un visage humain sous l’appellation latine peu claire d’alphinus, devenu « alphin » en français. Au XIIIe siècle, l’alphin prend l’équivalence d’un juge, assimilé à l’évêque outre-Manche, les défenses évoquant les cornes de la mitre de l’ecclésiastique médiéval. Peut-être déjà plus frondeur ou plus badin, le français identifie les ergots comme les pointes à clochettes du chapeau du fou, proche du souverain et, s’il n’est juge, peut être son conseiller. L’évêque fut introduit sur l’échiquier européen au XIIe siècle, remplaçant l’éléphant de la tradition islamique. La substitution d’un homme d’église à un animal utilisé au combat peut sembler curieuse, mais les évêques médiévaux ont souvent servi avec les armées, et même combattu. Il n’est pas ici dans ce rôle militaire, mais dans sa fonction d’ecclésiastique. Les plus petites figures représentent probablement les hommes qui le servent durant les cérémonies. L’un est tonsuré, son lecteur, il porte le livre de son maître ; l’autre, tenant un bâton et la main à l’oreille, est peut-être le Precentor en charge de la chorale.