Échecs au Louvre
Valve de miroir en ivoire 11,5 cm, Paris vers 1300 – Musée du Louvre, Gothic Ivories Project
Les ivoiriers parisiens travaillaient indifféremment sur des œuvres religieuses ou profanes, telles les valves de miroir¹ qui offraient aux nobles dames leurs sculptures somptueuses et délicates, s’inspirant de certains épisodes de romans à la mode.
« Cette valve de miroir, exposée au Louvre, cantonnée² de quatre chimères, illustre soit un épisode issu du roman de Tristan et Yseult, où, avant de boire le philtre qui les rendra amoureux, les deux protagonistes jouent aux échecs sur le bateau qui les emmène vers le roi Marc, soit le passage du roman de Huon de Bordeaux où Huon joue sa vie contre les faveurs de sa belle adversaire. La plupart des valves de miroirs gothiques évoquent des couples d’amoureux devisant ou chassant. Le motif du jeu d’échecs s’inscrit dans cette vogue. Le thème du jeu d’échecs, jeu intellectuel, stratégique, symbolise l’amour courtois régit lui aussi par des lois précises. Il s’oppose en cela au jeu de dés, symbole de l’amour brutal et débauché.³ »
Le thème du jeu d’échecs, allégorie de l’amour courtois, est fréquent sur les valves de miroir, encore que les exemplaires à quatre personnages soient rares. Centrée sur l’échiquier et le jeu de main des personnages désignant les pièces, la scène se déroule sous un pavillon, rideaux relevés, mettant en évidence le jeune homme assis, jambes croisées (symbole de pouvoir), entourant d’une main le poteau (sans doute une allusion phallique) et prenant une pièce d’échecs de l’autre main ; en face, la damoiselle tient deux pièces dans son dos, peut-être pour tricher. Au jeu de l’amour, tous les coups sont permis ! Derrière, sa dame de compagnie tient une couronne prête, lui suggérant une stratégie. La couronne est une allusion au couronnement des vœux de l’amant et évoque l’union charnelle future des deux amoureux. Si l’amour courtois est régi par des règles, il ne sera nullement platonique.
¹ Les valves de miroirs sont des panneaux protecteurs, en ivoire ou en métal, qui entouraient les miroirs portatifs au Moyen Âge. Reliées par un lacet ou une charnière, elles les protégeaient tout en les ornant de motifs décoratifs (scènes courtoises, religieuses, ou fantastiques).
² Cantoné : dont les encoignures sont ornées.
³ Marie-Cécile Bardoz, Œuvres et Palais, www.louvre.fr