La lutte intellectuelle de l’humanité
Dans les idées exprimées aux échecs, et leur développement,
nous avons une représentation de la lutte intellectuelle de l’humanité.
Richard Réti
Pour Jacques Bernard, il existe un « lien entre les transformations du jeu d’échecs et les évolutions sociales au sens large, entre l’apparition de nouvelles théories échiquéennes et l’évolution de la structure de pensée des contemporains de ces transformations. Il apparaît possible de soutenir la thèse, peut-être paradoxale, en tout cas surprenante, selon laquelle la stratégie du jeu, dans son aspect le plus technique, est d’ordre essentiellement social ou plutôt, pour respecter le lien de causalité, que les évolutions et les nouveautés dans des ordres aussi divers que la politique, la philosophie, la littérature, la peinture, la musique, ont des répercussions sur les nouvelles stratégies imaginées, en leur temps, par les grands champions d’échecs.¹ »
La thèse de Jacques Bernard trouve son écho dans l’histoire des échecs :
- au Moyen Âge, l’échiquier était vu comme une représentation symbolique de la société, chaque pièce représentant une classe sociale ou une fonction. Les règles et les dynamiques du jeu reflétaient les structures hiérarchiques et les rôles sociaux de l’époque ;
- les changements dans les règles du jeu, comme l’augmentation de la mobilité des pièces, notamment de la Dame, correspondent à des périodes de transformation sociale et culturelle. L’émergence de grandes reines influentes politiquement a trouvé son écho dans l’importance accrue de la Dame sur l’échiquier ;
- les pions sont l’âme des échecs énonce Philidore en plein Siècle des Lumières, quand émergent les idées nouvelles qui aboutiront à la révolution, valorisant les éléments modestes du jeu, tout comme les idées révolutionnaires commençaient à valoriser les classes populaires ;
- au milieu du XIXe siècle, le jeu était souvent marqué par des sacrifices spectaculaires et des attaques audacieuses, reflétant les valeurs romantiques de l’époque, qui privilégiaient l’émotion et l’individualité ;
- sous l’influence soviétique, le jeu d’échecs fut traité comme une science. La formation rigoureuse et l’analyse systématique sont devenues la norme, reflétant l’accent mis par l’État sur la rationalité, la discipline et la collectivité ;
- aujourd’hui, avec l’avènement de l’intelligence artificielle et des ordinateurs, les stratégies d’échecs ont évolué pour inclure des analyses profondes basées sur des algorithmes complexes, reflétant l’importance croissante de la technologie et des données dans notre société.
Ainsi, chaque époque avec ses transformations sociales, culturelles et technologiques a laissé son empreinte sur l’évolution du jeu, soutenant la thèse de Jacques Bernard sur le lien entre les nouvelles théories échiquéennes et les évolutions de la pensée contemporaine.
¹ Jacques Bernard, Socio-anthropologie des joueurs d’Échecs (Paris, L’Harmattan, 2005).