Quelle partie voulez-vous jouer ?
Il est vrai qu’il existait au Moyen-Âge encore, deux manières de jouer aux échecs, avec ou sans dés. Dans le roman Huon de Bordeaux, Huon demande :
— Madame, quelle partie voulez-vous jouer ? Jouez-vous aux échecs avec les coups ou avec les dés ?
— J’ouons le avec les coups, dit la dame d’une voix claire.
De l’usage des dés à la stratégie pure
Le jeu d’échecs trouve ses racines dans le jeu indien ancien Chaturanga, datant du VIe siècle, qui introduisait un élément de hasard en utilisant des dés pour déterminer quel joueur pouvait déplacer quelle pièce. Ceux-ci, hérités du jeu indien, furent écartés par les Perses, mais leur usage ne disparut pas totalement. Dans certaines régions arabes, il arrivait encore que les parties se jouent au hasard. Arrivé en Occident, le jeu circula sous ces deux formes.
Les jeux de hasard n’étaient pas en odeur de sainteté auprès de l’Église catholique. Des figures religieuses, telles que le cardinal Damien d’Ostie en 1061, ont interdit aux membres du clergé de jouer aux échecs, les qualifiant de « futilités honteuses ». Cette condamnation était motivée par la crainte que les jeux de hasard ne détournent les individus de leur foi et de leurs obligations spirituelles. Le cardinal Pierre Damien informa le pape Alexandre II qu’il avait surpris l’évêque de Florence en train de jouer. Ce dernier se défendit en affirmant qu’il ne recourait pas aux dés et que la condamnation de l’Église ne concernait que les jeux de hasard. En réalité, les textes canoniques de l’époque ne prévoyaient rien concernant les échecs, encore trop récents au XIe siècle. Ce n’est qu’un siècle plus tard que la pratique fut officiellement tolérée, à condition qu’elle se fasse sans dés, uniquement pour le plaisir, et sans enjeu matériel.
Dans les tavernes en revanche, l’usage des dés persista longtemps pour déterminer les coups, ce qui entraînait souvent des mises d’argent, des bagarres, voire des drames. La réputation du jeu en fut ternie durant plusieurs générations. Ce n’est qu’en abandonnant peu à peu le hasard au profit de la réflexion que les échecs acquirent leur image de jeu noble et respectable. Au fil du temps, les joueurs cherchèrent à éliminer l’élément de hasard pour se concentrer sur la stratégie pure. Cette évolution a conduit à la version moderne des échecs, où chaque mouvement est déterminé par la réflexion et la planification.
