Pourquoi les femmes jouent-elles moins aux échecs ?
Les Échecs, un jeu machiste …
Pourquoi si peu de femmes devant l’échiquier ? On a beaucoup argumenté et même déliré sur ce sujet sans pourtant apporter vraiment de réponses cohérentes. Il n’en fut cependant pas toujours ainsi. Particulièrement au Moyen Âge où les femmes jouent ce jeu autant que les hommes. « Aux Échecs, écrit Harold Murray dans son History of Chess, les gens des deux sexes se rencontraient sur un pied d’égalité et on appréciait beaucoup la liberté dans les rapports que permettait ce jeu. Il était même autorisé de rendre visite à une dame dans sa chambre pour jouer aux Échecs avec elle, ou pour son amusement¹ ». Les Échecs étaient peut-être le seul espace de rencontre d’égal à égal entre les hommes, guerriers et chasseurs, peu enclins à l’exercice intellectuel et les femmes confinées le plus habituellement à une fonction nourricière. « Et cette rencontre autorisait une liberté surprenante dans les comportements sexuels, où la femme tenait souvent le rôle le plus actif² », notent Jacques Dextreit et Norbert Engel dans Jeu d’Échecs et sciences humaines.
« Le jeu d’échecs plaît aux garçons, car ils ont un tempérament de combattant que les filles n’ont pas, à quelques exceptions près. » Et c’est sûrement l’une des explications les moins machistes que l’on puisse entendre sur la faible présence des femmes dans le jeu d’Échecs. Présenté trop souvent comme un argument d’autorité, ce stéréotype est hérité de notre société. Dès le plus jeune âge, les filles et les garçons sont la plupart du temps orientés vers un comportement différencié, que ce soit par identification au modèle familial, par influence des médias, par tradition. Aujourd’hui, la présence féminine n’est que de 20 % des effectifs de la Fédération Française des Échecs.
« La très faible proportion des femmes au sein des joueurs de compétition est un des aspects les plus particuliers du milieu des Échecs, en France comme à l’étranger », écrit en 2005 le sociologue Jacques Bernard dans son livre Socio-anthropologie des joueurs d’Échecs. Une seule femme dans le top 100 des meilleurs joueurs mondiaux, le GMI hongrois Judit Polgar à la 58e place. « Parmi les deux cent cinquante meilleurs joueurs du monde, poursuit Jacques Bernard, on ne compte qu’une seule femme… En France, au sein des trois cents meilleurs joueurs, on ne recense que quatre femmes, dont deux seulement se considèrent comme professionnelles. La moyenne elo des dix meilleures joueuses françaises est de plus de trois cents points inférieurs à celle de leurs homologues masculins³. »
Que les femmes ne puissent pas lutter avec la gent masculine dans les disciplines ne faisant appel qu’à la force brute, voici une chose entendue, mais il semblerait naturel qu’aux Échecs, sport cérébral par excellence, ces dames puissent sans difficulté nous rivaliser. Alors, pourquoi si peu de femmes ? Chacun y est allé de sa petite explication de la plus scientifique à la plus misogyne. La palme peut être à notre génial frappadingue Bobby Fischer, qui refusa de participer à un tournoi où était inscrite la championne américaine Lisa Lane et qui déclara : « Les femmes sont stupides comparées aux hommes ; elles ne savent pas jouer aux Échecs, savez-vous, elles ont le niveau d’un débutant, elles perdent toutes les parties qu’elles disputent contre des hommes. Il n’y a pas une femme au monde à qui je ne puisse donner l’avantage d’un Cavalier et gagner malgré tout ». À quoi le malicieux Michail Tal répondit : « Fischer est Fischer, une femme est une femme… mais un Cavalier et un Cavalier ! »
Et plus proche de nous Garry Kasparov pour qui il existe « deux sortes d’Échecs, les vrais et les Échecs pour femmes […] Désolées. Une femme ne peut rien faire contre la détermination d’un homme. C’est une simple question de logique. C’est la logique d’un combattant professionnel. Or les femmes ne sont pas de bons combattants. Il y a aussi l’aspect créatif dans les Échecs. Il faut sans cesse créer de nouvelles idées. Les Échecs sont un mélange de sport, d’art et de science. Or on peut constater la supériorité des hommes dans tous ces domaines. L’explication réside sans doute dans les gènes. » Ce qui ne l’empêcha pas, en 2002, de perdre face à Judit Polgár — la première fois qu’une joueuse battait un champion du monde en titre dans une partie classée. Kasparov, interrogé sur ses opinions passées sur les échecs féminins fit alors amende honorable : « Je n’y crois plus maintenant. »
… ou un jeu inclusif par excellence ?
Il va sans dire, afin d’éviter en représailles tout écharpage, griffade et mutilations diverses tout à fait déplaisantes, que ces opinions n’engagent évidemment que leurs auteurs ! La pratique du jeu d’échecs, jeu inclusif par excellence, ne discrimine pas en fonction du genre. Il offre à tout le monde, hommes et femmes, la possibilité de rivaliser sur un pied d’égalité. Nous souhaitons encourager les femmes à concourir aux côtés des hommes, le jeu contribuant à éliminer les stéréotypes de genre qui suggèrent que certains domaines sont réservés à un sexe particulier.
À suivre…
¹ A History of Chess est un livre écrit par H. J. R. Murray (1868-1955) et publié en 1913.
² Jacques Dextreit et Norbert Engel, Jeu d’Échecs et sciences humaines.
³ Jacques Bernard, Socio-anthropologie des joueurs d’Échecs (Paris, L’Harmattan, 2005).