Les Échecs seraient-ils racistes ?
En juin 2021, le populaire YouTuber Antonio Radic a vu sa chaîne bloquée pendant quelques heures pour contenu « nuisible et dangereux ». L’intelligence artificielle de la plate-forme signala à tort ses commentaires échiquéens sur les Noirs et les Blancs, plein de menaces et d’attaques, comme des propos racistes incitant à la haine raciale ! Notre jeu, plus que millénaire, proposant une vision du monde en noir et blanc, véhiculerait-il à notre insu une idéologie peu sympathique en donnant aux Blancs le privilège de « tirer les premiers » ?
Notre jeu, refléterait-il la triste réalité de l’inégalité raciale. Pour Anish Giri « il est difficile de changer son état d’esprit, lorsqu’une partie démarre différemment. Mais si nous arrivons à changer notre vision pour un jeu, je suis sûr que les gens peuvent le faire dans la vraie vie. »
Pour la première fois, peut-on lire, deux grands-maitres brisent la règle… et les Noirs jouent les premiers !
C’est oublier que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’on pouvait initier la partie avec les Noirs sans problème. De nombreux joueurs (Alexander McDonnel, au cours du match qui l’opposa à Labourdonnais) préféraient avoir les Noirs en tant que premier ou deuxième joueur, mode courante à cette époque. Dans L’Immortelle d’Adolf Anderssen contre Lionel Kieseritzky, le 21 juin 1851 à Londres, partie devenue célèbre pour les sacrifices audacieux, deux Tours, un Fou et une Dame, Anderssen a les Noirs, mais joua en premier.
L’avantage du trait¹, où les Blancs commencent la partie aux échecs, a été un sujet de discussion parmi les joueurs et les théoriciens depuis longtemps. Les statistiques montrent que les Blancs gagnent légèrement plus de parties que les Noirs, avec un pourcentage moyen de victoires compris entre 52 % et 56 %. Cela a conduit à des débats sur la question de savoir si, avec un jeu parfait des deux côtés, la partie serait gagnée par les Blancs ou aboutirait à une partie nulle. Le grand-maître András Adorján a une opinion intéressante à ce sujet en suggérant que l’avantage des Blancs est plus psychologique que réel. Cela signifie que l’avantage du trait pourrait influencer la façon dont les joueurs abordent la partie, et que les Blancs pourraient être plus enclins à prendre des risques ou à jouer de manière plus agressive, tandis que les Noirs pourraient jouer de manière plus solide pour défendre leur position. Les préférences psychologiques des joueurs peuvent ainsi jouer un rôle important dans le résultat de la partie. Cependant, il est important de noter que les échecs sont un jeu complexe, où de nombreux facteurs interviennent, notamment la stratégie, la tactique, la préparation et la créativité. L’avantage du trait est un aspect du jeu, mais il ne garantit pas automatiquement la victoire pour les Blancs, et il est tout à fait possible pour les Noirs de gagner des parties de haute qualité en exploitant leurs propres atouts.
Le jeu d’échecs lui-même n’est pas intrinsèquement raciste. Il s’agit d’un jeu de stratégie intellectuelle qui n’a pas de biais racial intégré dans ses règles ou dans ses composants. Les pièces d’échecs sont toutes égales en termes de fonctionnalité et de capacités, et elles ne sont pas associées à des groupes raciaux ou ethniques spécifiques. Le choix de donner l’avantage du premier coup aux Blancs plutôt qu’aux Noirs (ou vice-versa) n’est pas lié à des considérations raciales, mais à des raisons historiques et culturelles liées à l’origine du jeu.
La pratique de notre jeu est, au contraire, un outil éducatif efficace pour lutter contre le racisme et promouvoir l’inclusion. Le jeu d’échecs, langage universel, transcende les barrières linguistiques, culturelles et géographiques. Passerelle pour établir des liens interculturels et interpersonnels, il contribue ainsi à une meilleure compréhension entre les individus. C’est une plate-forme commune où des joueurs de toute origine peuvent se rencontrer, communiquer et partager leur passion pour le jeu. Les règles du jeu sont les mêmes partout dans le monde, ce qui permet aux joueurs de différentes cultures de se comprendre en jouant, même sans parler la même langue. Et, il faut nous rappeler la devise de la Fédération Internationale des Échecs « Gens una sumus » : Nous sommes une seule famille !
Nous faudra-t-il cependant revenir aux couleurs des origines indiennes, le rouge et le vert ? En espérant que de petits bonhommes verts ne débarquent pas trop vite sur notre planète, ils pourraient se sentir offensés.
¹ L’avantage du trait aux échecs fait référence au fait que les Blancs ont l’opportunité de jouer en premier, c’est-à-dire qu’ils effectuent le premier coup de la partie. Les Noirs, en réponse, effectuent leur premier coup après les Blancs. Cet avantage est considéré comme une petite prérogative stratégique aux échecs, car il permet aux Blancs de dicter le ton initial de la partie.