Dans le sac, entremêlés, les pions et les rois s’en iront
Le jeu d’échecs, tissé dans l’étoffe du temps, se révèle comme une métaphore poétique de la vie, une danse éternelle où chaque pièce peut incarner l’image de notre destin.
– Eh bien, reprit don Quichotte, la même chose arrive dans la comédie de ce monde, où les uns font les empereurs, d’autres les pontifes, et finalement autant de personnages qu’on en peut introduire dans une comédie. Mais quand ils arrivent à la fin de la pièce, c’est-à-dire quand la vie finit, la mort leur ôte à tous les oripeaux qui faisaient leur différence, et tous redeviennent égaux dans la sépulture.
— Fameuse comparaison ! s’écria Sancho, quoique pas si nouvelle que je ne l’aie entendu faire bien des fois, comme cette autre du jeu des échecs ; tant que le jeu dure, chaque pièce a sa destination particulière ; mais quand il finit, on les mêle, on les secoue, on les bouleverse et on les jette enfin dans une bourse, ce qui est comme si on les jetait de la vie dans la sépulture.
Miguel de Cervantes Saavedra, Don Quichotte, tome II
Sancho se réfère aux vers d’Omar Kheyam, poète persan du Moyen-Age : « Nous sommes les pions de la mystérieuse partie d’Échecs jouée par Dieu. Il nous déplace, nous arrête, nous pousse encore, puis nous lance un à un dans la boîte du Néant. »
L’un des contemporains et compatriotes de Cervantes, le poète et dramaturge Lope de Vega (1562-1635), écrit :
Piezas somos de ajedrez
y el loco mundo es la tabla
pero en la talega juntos
peones y reyes andan.
« Nous sommes des pièces d’échecs et le monde fou est l’échiquier, mais dans le sac, entremêlés, les pions et les rois s’en iront. »