Les échecs comme un rite
« Les échecs n’ont rien d’un jeu. C’est, au contraire, un enchevêtrement aléatoire de logique et de magie, de tension perceptive, d’étonnement. Ceux qui les pratiquent, savent qu’ils exercent un aspect, peut-être le plus compliqué, de la philosophie de la lutte. Et ils savent que leurs deux plus grands ennemis sont l’espace et le temps. Avec eux, c’est la bataille. Et contre l’hallucination des formes. Parce que les échecs sont une forêt qui, dans le meilleur des cas — quand les deux joueurs arrivent à une finale exhaustive — doit être abattue par des avancées et retraits furtifs, des affûts méditatifs, de grave suspens dans lequel vous ressentez, à part égale, la volupté du succès, le flamboiement de la colère, l’angoisse et enfin l’espoir agitant ses ailes. Et en marge, un désalignement : le temps des échecs est un temps inaltérable, à l’état pur, qui n’a rien à voir avec notre temps vital et chronométrique. Son royaume commence à cette limite où les chiffres s’érigent comme des anges. »
Héctor Rojas Herazo, (1921 – 2002) poète, romancier, peintre et journaliste colombien.