Des Chèques en Échecs

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Le monde des Échecs est contaminé par l’argent comme tout ici en ce bas monde. Mais connaissiez-vous cet autre lien de notre jeu avec le monde de la finance ? « Échiquier » selon le dictionnaire Littré viendrait de l’italien scacchiere transitant par la Provence escaquier. Le mot chèque serait une francisation du mot anglais cheque  (que les Américains écrivent check) venant probablement du verbe anglais « to check », qui signifie contrôler, vérifier, enrayer et qui a comme sens premier celui de  mettre en échec .

L’échiquier financier

Au Moyen Âge, l’Échiquier, créé par Rollon, premier duc de Normandie au début du Xe siècle, constituait dans son duché, puis dans le royaume d’Angleterre après la conquête par Guillaume le Conquérant, l’équivalent d’une chambre des comptes, juridiction souveraine spécialisée dans les affaires de finances. Le terme anglais Exchequer, traduction du mot français, a conservé jusqu’à nos jours cette signification : le Chancellor of the Exchequer, le chancelier de l’Échiquier, est encore aujourd’hui le ministre des Finances du Royaume-Uni.

Exchequer d’Ireland au travail, XVe siècle

L’origine du nom proviendrait de la salle où se réunissait cette assemblée, dont le sol était carrelé de pierres noires et blanches rappelant les tabliers ou échiquiers servant au jeu. Une autre hypothèse veut que la table sur laquelle se réglaient les comptes de la trésorerie fût recouverte d’un tapis quadrillé noir et blanc, permettant d’y disposer les différentes monnaies en circulation. Les ducs emmenaient ce tapis avec eux lors de leurs déplacements et terminaient leurs décisions par ces mots : actum in scaccario ou super scaccarium, « fait en l’échiquier » ou « sur l’Échiquier ».

Chèques et mat

Vers 1110, sous le règne d’Henri Ier d’Angleterre, l’Échiquier devient une véritable institution d’État. Dans le Dialogus de Scaccario (vers 1179), Richard FitzNigel décrit en détail le fonctionnement de cette cour où l’on calculait les recettes et dépenses du royaume à l’aide de jetons placés sur un grand tapis quadrillé. Le dispositif visuel évoquait irrésistiblement une partie d’échecs : chaque jeton représentait une somme, chaque mouvement un transfert de valeur. L’administration du royaume tout entier s’y pensait comme une stratégie sur un plateau.

Notre jeu est très probablement né en Inde. De là, il parvint en Perse où les Arabes le découvrirent à leur tour. Au XIe siècle, le jeu est adopté en Europe sous le nom latin de scacus. Il se répand rapidement dans toute l’Europe : en Italie, on l’appelle scacco, en Espagne jaque, en Angleterre chess, au Portugal xadrez, en Russie sach, en France d’abord eschac, puis échec. En Allemagne, le jeu y est appelé Schach. Les origines persanes y sont encore très audibles. Les Échecs sont le jeu du roi, « sâh » en persan. L’exclamation « échec et mat », nous vient également du persan : « sâh-e mât » signifie le roi est en difficulté que les Arabes comprirent dans leur langue comme « as-Shâh mât »,  le roi est mort. Ce jeu, dans lequel l’on met le roi dans une position difficile, donna l’expression française « mettre en échec », faire échouer un projet.

Le mot « échec » voyagea ensuite dans la langue anglaise et donna « check », qui prit le sens de « contrôle ». C’est ce mot que les banquiers anglais du XVIIIe siècle choisirent pour désigner un nouveau mode de paiement. Parce que la circulation de ce document était soumise à des vérifications rigoureuses – la souche du chèque servant à prévenir les falsifications –, le mot « check » fut naturellement associé à l’idée de contrôle et de sécurité. Ainsi naquit le cheque, orthographe qui s’imposa en Angleterre, sans doute influencée par « exchequer », évolution du vieux français « eschequier », et qui prit en anglais moderne le sens de finances.

Dans ces glissements linguistiques se lit une même logique : celle du contrôle, de la régulation et du calcul. Dans le jeu d’échecs, « check» signifie que le roi est menacé, soumis à une contrainte ; dans la banque, un « cheque » est un ordre de paiement soumis à vérification. Dans les deux cas, le geste vise à encadrer le pouvoir, à en limiter les mouvements. Les mots, comme les institutions, conservent les traces du passé : « Exchequer bills » désignent encore aujourd’hui les bons du Trésor britannique, et, en ancien français, « Eschequier » pouvait aussi désigner le Trésor royal. Les fonctionnaires des finances effectuaient leurs calculs sur des tables à jetons ressemblant à un échiquier, symbole parfait d’un monde où le calcul, la stratégie et le pouvoir sont étroitement mêlés.

Les personnages centraux de cette enluminure, extraite des Grandes Heures de Rohan (XIIIe), devant leur échiquier, sont-ils de paisibles joueurs d’échecs, ou bien des commerçants faisant leur comptes. Dès le XIIIe siècle, les artisans médiévaux se servent du plateau quadrillé de l’échiquier comme d’une table de compte, à la manière d’un boulier. La multiplication est notamment pratiquée dessus. La présence des marchands à droite, pesant peut-être de la monnaie, irait dans ce sens.

De l’échiquier médiéval aux salles de marché contemporaines, le monde du calcul et du pouvoir n’a jamais quitté son échiquier. Les pièces ont changé, les stratégies aussi, mais l’art de « mettre en échec » demeure au cœur du jeu – qu’il soit politique ou économique.

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