Les pièces de Novgorod

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Trois pièces d’échecs en bois du XIVe siècle, Novgorod : une tour et deux rois

Depuis le Moyen Âge, les échecs occupent une place singulière dans la culture et l’histoire de la Russie. À travers les siècles, ils ont inspiré une grande diversité de styles et de traditions, reflets de la richesse des époques et des régions de ce vaste territoire. Parmi les ensembles les plus emblématiques figurent les rois surmontés d’une flèche, caractéristiques de l’artisanat russe ancien. Introduit en Russie par les routes commerciales reliant le nord de l’Inde et la Perse, le jeu s’y est implanté très tôt. Ce sont sans doute les marchands qui ont introduit le jeu avec leurs marchandises. Les historiens situent son arrivée entre le VIIIe et le Xe siècle, période où les peuples slaves orientaux s’unissaient pour former le premier État russe. Le jeu était probablement connu avant même l’émergence de la Russie médiévale. L’absence de sources écrites avant le XIIIe siècle s’explique sans doute par la méfiance de l’Église, qui associait les échecs aux jeux de hasard et les condamnait comme des « illusions diaboliques ».

Les recherches confirment que les Russes n’ont pas reçu les échecs par l’intermédiaire de l’Europe occidentale, mais directement du monde indo-persan. Cette origine orientale se reflète dans la terminologie et les formes des premières pièces. Dans les bylines (ballades épiques) et le folklore russe, les échecs occupent une place notable : certaines légendes rapportent qu’à la cour du prince Vladimir de Kiev, au Xe siècle, les tournois faisaient partie des divertissements offerts aux émissaires étrangers.

Au nord du pays, la ville de Novgorod constitue un témoignage archéologique exceptionnel. Fondée sur la Volkhov au Xe siècle, elle devint rapidement un centre commercial majeur reliant Byzance à l’Europe centrale. Les chroniques locales attestent la pratique du jeu dès le XIIIe siècle, époque à laquelle l’Église tenta d’en interdire l’usage. La découverte de ces pièces montre la popularité du jeu dans l’ancienne république de la ville russe de Novgorod, bien que l’église l’ait déjà interdit au XIIIe siècle. Mais, parmi les passions que l’homme peut difficilement interdire, il y a le jeu d’échecs. L’Église orthodoxe russe, comme celle d’occident, a tenté encore et encore de garder ses ouailles loin du jeu, interdisant les échecs, même si ce n’était plus un jeu de hasard depuis 1286¹. La découverte de ces pièces vieilles de 600 ans à Novgorod prouve que ces efforts furent infructueux. Un des rois, probablement sculpté dans du genévrier, fut retrouvé à proximité de l’ancienne résidence de l’archevêque de la ville.

« Le fait que la figure finement sculptée ait été trouvée près de la résidence d’un ecclésiastique témoigne du fait que ce jeu était très populaire malgré l’interdiction », explique Elena Rybina de l’Université d’État de Moscou. « Selon les chroniques, le jeu à Novgorod est connu depuis 1280. Dans une fouille du XIIIe siècle, 13 pièces furent mises à jour et 46 au XIVe siècle. Le jeu arriva à Novgorod via l’Inde et l’Arabie, le prouve les formes coniques des figurines courantes en Arabie. Les pièces européennes avaient par contre des caractéristiques clairement humaines ou animales. »

Les fouilles menées au milieu du XXe siècle dans la partie ancienne de la ville ont livré une soixantaine de pièces d’échecs datées entre le XIIe et le XVe siècle. Ces découvertes confirment que, malgré les interdits religieux, le jeu resta profondément ancré dans la vie quotidienne et symbolisait déjà la finesse intellectuelle et la curiosité du peuple russe.

¹ À son arrivée en Europe, vers l’an 1000, les échecs se jouent encore avec des dés pour décider de la case où sera déplacée la pièce. Considérés alors comme un jeu de hasard, ils sont interdits par l’église.

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